Chanter l'amour

Publié le 12 janvier 2023 à 08:49

Chanter l'amour.

 

En entrant dans une pièce, je ressens. Je vois tout ce qui ne peut être vu, et ce sans le moindre effort. Je ressens l'atmosphère et l'ambiance de la pièce et je ressens les humeurs des personnes qui s'y trouvent. En un instant. Je sais donc le comportement que je vais pouvoir adapter afin de convenir du mieux possible à l'humeur de la pièce. Ou, au contraire, afin d'y apporter la touche émotionnelle parfaite, celle qui manquait. C'est facile : dans une pièce, au cours d'une conversation où je sens que le sujet s'effrite, où je sens que quelqu'un se vexe, se braque, se renferme, alors je me mets de son côté. Je défends toujours la personne la moins soutenue, la moins comprise. Parce que je déteste l'injustice. Parce que j'ai trop ressenti cette solitude, cette mise à l'écart pour que j'en sois aujourd'hui un témoin impassible. Parce que je parviens à me mettre à la place de l'autre jusqu'à en ressentir ses émotions les plus infimes, les plus secrètes, je me dois de faire de cette charge émotionnelle une force qui peut aider cet autre. Rester impassible, voilà ce que je ne supporte pas.

 

Je ne supporte pas de voir que quelqu'un n'est pas intégré, que ce soit au sein d'un groupe, d'une conversation, d'un simple échange de parole. Tout le monde mérite sa place, tout le monde mérite d'être entendu, tout le monde mérite d'être écouté. Alors si la personne ne trouve pas le moment opportun pour parler ou qu'elle juge ne pas avoir son mot à dire, je vais faire en sorte de l'intégrer. Je vais doucement changer de conversation jusqu'à intégrer cette personne. Elle mérite autant que les autres de passer un bon moment. Si elle se sent triste ou qu'une quelconque émotion ressort de manière flagrante mais que les autres personnes ne semblent pas y prêter la moindre attention, alors je vais m'y attacher. Je vais faire en sorte qu'elle aille mieux, qu'elle se sente un peu plus intégrée. Qu'elle me remercie ou non, je sais qu'elle aura finalement été intégrée, qu'elle aura finalement pu dire son mot, apporter sa carte au château que les autres avaient commencé à construire sans elle.

 

Vivre avec la capacité à déceler les émotions des autres et à lire en eux comme dans un livre ouvert est le plus grand des arts. Cadeau qui parfois devient pesant, avoir la faculté d'en faire une force en la mettant au service des autres est une chance inestimable. Une chance inestimable parce qu'on peut faire rencontrer des mondes si différents les uns des autres, parce qu'on peut donner au monde ce petit bout de soi qui sait faire la différence.

 

Je ne sais pas si j'ai réellement fait une différence pour le moment mais, hier soir, j'ai ressenti les émotions d'un proche jusqu'à en pleurer. Je ne mesurais pas la peine de cette personne jusqu'à ce que je la regarde, jusqu'à ce que je la regarde vraiment. Voici ce qu'il en est apparu :

 

"Ressentir les émotions des autres, voilà le cadeau le plus doux et le plus douloureux qui puisse être offert à quelqu'un. Ce soir, j'ai vu dans les yeux de ma sœur sa peine. J'ai vu, sous la carapace de l'adolescente qui jouait du piano, l'immense tristesse que personne ne saurait voir mais qui, moi, m'a frappée au visage, m'a touchée en plein cœur. Il a suffit que je la regarde. Je l'ai regardée jouer et j'ai vu. J'ai vu, alors qu'elle n'avait qu'un visage marqué par la concentration devant la mélodie qu'elle s'efforçait de jouer du mieux qu'elle pouvait, ce qu'elle ne pouvait pas cacher, ou ce qu'elle ne pouvait pas me cacher.

 

J'en ai eu les larmes aux yeux. J'ai pleuré. Mais ça je ne lui ai pas dit, bien sûr. Je lui ai dit que son morceau m'avait émue. Mais c'est elle qui m'a émue. J'ai vu cette tempête d'émotions qui faisait rage en elle, j'ai vu combien elle luttait pour garder sa muraille entre elle et le monde. Entre elle et les autres. Elle cache pour qu'on l'oublie, pour qu'elle s'oublie. Pour oublier tous ces moments douloureux, toutes ces fois où elle aurait voulu crier, où elle aurait voulu exploser de rage, où elle aurait voulu remplir la mer de ses larmes. Au lieu de ça, elle a fermé son cœur. Elle a pris ses secrets et les a enfoui au plus profond de son cœur, de son cœur si fragile et si fort à la fois.

 

J'ai voulu lui dire. J'ai voulu lui dire que ce n'est pas grave si elle n'est pas heureuse, qu'elle finira par l'être. Parce qu'après la pluie vient le beau temps, peu importe les inondations que peut causer cette pluie. Mais elle m'aurait dévisagée, ce que j'aurais très probablement fait si j'avais été à sa place ! Alors j'ai gardé mes paroles de sage pour moi en me disant que j'allais écrire sur elle. Que j'allais écrire pour elle. Parce que si elle ne fait pas sortir cette douleur, alors je l'écrirais du mieux que je peux. Je chanterais sa douleur du mieux que je peux. J'ai envie de crier au monde sa tristesse.

 

Les yeux sont le miroir de l'âme, c'est pour cela que, lorsque l'on regarde quelqu'un dans les yeux, sans parler, mais simplement le regarder, alors on sait. On sait qui il est, véritablement. On sait l'essence d'autrui, on sait la raison d'être d'autrui, on sait la raison d'exister d'autrui. Les mots deviendraient cette barrière infranchissable dont parle Bergson, alors on s'en passe. Le regard est la clé pour ouvrir le cœur, pas les mots. Ou du moins, pas dans toutes les circonstances. Et pourtant, ma sœur avait les yeux rivés sur sa partition et son piano, pas sur moi ! Et pourtant, j'ai aperçu l'ombre de tristesse qui voilait ses yeux bleus.

 

Alors j'ai été émue, et j'écris pour elle,  je chante sa peine en y mettant les mots qu'elle ne veut pas trouver. Parce que je me suis tellement reconnue en elle ! Quand je me suis rendue compte de la puissance de ses émotions douloureuses, elle est devenue mon miroir. Elle m'a fait replonger dix ans auparavant quand, cette douleur, c'est moi qui la ressentait. Pour des raisons on ne peut plus éloignées certes, mais j'ai ressenti à nouveau cette douleur qui ne m'avait pas manqué. Cette douleur qui m'a tellement détruite. Dix ans plus tard, cette douleur s'est atténuée, mais elle est encore là. Je n'ai qu'à regarder au fond de moi, et je sais qu'elle est là, qu'elle respire avec moi. J'aimerais tellement éviter à ma sœur de ressentir tout ça. Je fais ce que je peux pour la faire sourire, pour l'aider, pour l'accompagner. Mais je ne pourrais pas lui enlever ce chagrin, ce mur qu'elle construit entre elle et le monde jour après jour. Je vois pourtant que la faire sourire et la faire parler est tellement facile ! Il lui faudrait une mini-moi à ses côtés, tous les jours, et elle irait mieux. Je le sais parce que je la comprends, je vibre à la même fréquence qu'elle.

 

Elle ira mieux un jour. Non pas qu'elle soit rongée par la peine, ce n'est pas l'idée que je voudrais peindre d'elle ! Seulement, des chagrins s'accrochent à son cœur et ne semblent pas encore disposés à la laisser tranquille, alors ça me ronge, et ça me ronge encore plus quand je sais que je ne peux rien y faire.  Alors je fais confiance à la vie, je fais confiance à ma sœur.

 

Ressentir les émotions des autres, voilà le cadeau le plus doux et le plus douloureux qui puisse être offert à quelqu'un. Une faiblesse comme une force, comprendre que l'hypersensibilité n'est pas qu'un fardeau est une des plus grandes batailles émotionnelles que l'on puisse gagner. Soi-même contre soi-même, les adversaires sont de taille égale, le combat est beau. Le vainqueur y gagne une vie plus paisible."

 

Je ne sais pas si j'ai fait une différence, mais j'essaie. J'essaie de sublimer ces émotions qui viennent à moi comme un aimant viendrait à son contraire. Pour ne pas qu'elles m'assaillent, je fais de ces émotions des pierres précieuses, des diamants de mille feux, de mille émotions. Cette hypersensibilité n'est pourtant que la partie émergée de l'iceberg ! Imagines-tu une seule seconde ce que représente la taille de l'iceberg tout entier, sais-tu imaginer tout ce que cet iceberg peut bien impliquer au quotidien, le matin en se levant ou le soir en s'endormant ?

 

Environ 30% des personnes dans le monde sont hypersensibles, et force m'est de constater que je n'ai même pas parlé de 10% de cette hypersensibilité ! Alors...on se retrouve dans un prochain article ?

 

 

Cogitez cogitez, à la prochaine mesdemoiselles !

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